« EN LOZÈRE, VISER UNE HAUTE PRODUCTIVITÉ PAR VACHE EST UNE NÉCESSITÉ »
POUR S'ADAPTER À UNE LOGIQUE DE LAIT STANDARD EN ZONE DE MONTAGNE, LE GAEC DES BLEUETS MISE SUR LA PRODUCTIVITÉ LAITIÈRE, DES MATIÈRES PREMIÈRES SIMPLES ET LA DIVERSIFICATION DES SOURCES DE REVENU.
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RENTABILISER LES LIVRAISONS DE LAIT STANDARD en zone de montagne (850 m), telle est l'équation que doivent résoudre Gilbert Razon, son fils David et sa compagne Barbara. Pour y parvenir, il faut surmonter un certain nombre de handicaps naturels : des hivers longs, des étés secs, des terres pentues et argileuses en coteaux, et superficielles sur le plateau des Grands Causses. Dans cet environnement, le maïs ensilage est exclu des rotations et la période de plein pâturage limitée à deux mois au maximum au printemps. La rigueur de l'hiver implique par ailleurs la construction de bâtiments fermés, isolés et dotés d'importantes capacités de stockage. « En Lozère, le coût de logement des animaux est important. C'est pourquoi la recherche d'un niveau de production élevé permet d'amortir plus facilement une charge de 7 000 à 8 000 €/place au minimum, souligne Philippe Verroul, conseiller d'élevage laitier à la chambre d'agriculture de Marvejols. Dans ce contexte de baisse de prix du lait, l'extensification extrême n'est donc plus adaptée à la production de lait standard et les systèmes à 4 000 ou 5 000 litres par vache laitière tendent à disparaître, car le produit ne permet plus de couvrir le montant des charges. »
« J'AI REPRIS EN FERMAGE L'EXPLOITATION DU LYCÉE AGRICOLE »
Les producteurs lozériens ne peuvent pas miser sur la plus-value de filières AOP locales, là où Lactalis et Sodiaal représentent 90 % de la collecte (1). L'AOP laguiole ne concerne qu'une trentaine d'éleveurs de l'ouest du département, et la vente à la ferme offre peu de perspectives dans un département à faible densité de population, où les conditions de milieux ne permettent pas non plus de miser sur les productions végétales.
Pour s'adapter à cette logique de lait standard, la stratégie du Gaec des Bleuets repose sur trois axes majeurs : maintenir un niveau d'étable supérieur à 9 000 kg de lait/VL à partir d'ensilage d'herbe et d'aliments simples, raisonner les investissements dans le cadre collectif de la Cuma et diversifier les sources de revenu via l'atelier ovin lait et la transformation fromagère.
Tout commence en 2002 avec l'installation de David sur l'exploitation appartenant au lycée agricole Terre nouvelle, de Marvejols. À l'époque, le conseil d'administration de l'établissement privé cède son outil de production pour des raisons budgétaires. David reprend l'habitation, les terres et les bâtiments en fermage, et rachète le cheptel, le matériel et la bergerie. « Après cinq ans au poste de salarié de cette exploitation, l'option d'une reprise en fermage était une opportunité financière, explique l'éleveur. Il s'agit d'un fermage classique, assorti d'une convention passée avec le lycée, sous forme de prestations rémunérées, qui implique l'accueil de stagiaires dix semaines par an et la mise à disposition deux fois par semaine du cheptel et du matériel pour les travaux pratiques des étudiants. » La production des bovins s'élève alors à 126 000 litres, dont 35 000 l de référence en vente directe. Le laboratoire offre une capacité de 60 000 litres transformés en fromages, la stabulation compte 45 places en logettes et une salle de traite par l'arrière de 6 postes. La référence ovine est de 430 hectolitres de lait à roquefort.
Pour faire face à la charge de travail des deux troupeaux laitiers, David conserve le salarié d'exploitation et crée le Gaec dès 2003 avec un associé fromager. Son père Gilbert, éleveur ovin viande à 12 km, rejoint la société en 2006, et y intègre 40 ha de SAU supplémentaire qui portent la surface totale à 140 ha, dont 49 ha de prairies naturelles et de landes.
Au fil des ans, la référence laitière progresse régulièrement, jusqu'à 560 000 litres de lait livrés chez Sodiaal. Mais en 2009, le salarié part à la retraite puis, en 2013, l'associé quitte le Gaec. Depuis, la transformation fromagère est mise entre parenthèses, dans l'attente de l'installation de Barbara en mai 2015.
« DES GÉNISSES ÉLEVÉES À L'EXTÉRIEUR POUR RENTABILISER »
N'étant pas propriétaires de la stabulation, les éleveurs n'envisagent pas d'agrandissement du bâtiment et cherchent à rentabiliser au mieux les places disponibles. Pour cette raison, mais aussi pour faire face à la charge de travail, la recherche de vaches productives s'est rapidement imposée. « La même volonté de maîtrise des investissements et du temps de travail nous a conduits à déléguer l'élevage des génisses à l'extérieur depuis cinq ans. Cette option nous a permis d'accroître la taille du troupeau sans investissement en bâtiment. » Les petites génisses sont vendues à 6 mois, et 150 kg au minimum, à un éleveur spécialisé (en 2014, 300 €/tête en moyenne). Elles sont ensuite rachetées avant la mise-bas, qui intervient vers 29 mois, à un prix fixé selon le GMQ enregistré au cours de cette période : 2,61 €/kg + le coût de l'insémination. « Nous avons ainsi trouvé une formule gagnant-gagnant dans laquelle la bonne croissance des génisses est dans l'intérêt de chacun. »
La reproduction est assurée à 100 % par l'insémination artificielle via la Coopelso. Pour les primipares comme pour les multipares, les éleveurs privilégient des taureaux fonctionnels et les résultats de fertilité traduisent une bonne gestion de l'état du troupeau : le taux de réussite en 1re IA des génisses est de 67 % pour 1,3 IA en moyenne, contre un résultat dans la zone Optilait Grand Sud-Ouest de 60 %, pour 1,7 IA. Chez les vaches adultes, le taux de réussite en 1re IA est de 50 % et les vaches à 3 IA et plus sont seulement 17 % (moyenne Optilait 44 % et 29 %). Avant leur départ, les petites génisses sont élevées à la poudre de lait, avec deux repas par jour, du foin de prairies naturelles et un mélange fermier composé de céréales autoproduites, maïs grain acheté et tourteaux de colza. « Elles sont sevrées vers 3,5 mois dès qu'elles consomment plus de 1 kg de concentrés par jour. »
« 9 716 KG DE LAIT/VL/AN, SANS ENSILAGE DE MAÏS »
La complémentation à partir de matières premières simples et bon marché est un principe de rationnement qui régit aussi l'alimentation des laitières. La ration complète, distribuée toute l'année au bol mélangeur, se compose de 9 kg de MS d'ensilage d'herbe de prairies temporaires (dactyle-luzerne et RHG-trèfle violet), 6 kg de regain luzerne-dactyle, 2,8 kg de maïs grain, 2,8 kg de céréales, 1,6 kg de tourteau de colza, 120 g de tanin de châtaignier et 1 kg d'okara. « Il s'agit de drèches de soja ensilées, dont la richesse (1,4 UF, 280 g de PDIN, 230 g de PDIE et 25 % de MS) est équivalente à celle d'un VL haut de gamme, mais au prix de 60 €/t (240 €/t de MS), explique Philippe Verroul. Cette matière première participe à la maîtrise du coût alimentaire, au même titre que le colza, les céréales ou le tanin de châtaignier. En effet, l'inconvénient des rations à base de luzerne est l'excès de PDIN, par rapport au PDIE. L'utilisation du tanin en remplacement du tourteau tanné permet ainsi de faire des économies sans pénaliser l'expression du potentiel laitier, comme le montre la moyenne de 40,2 kg de lait/VL/jour au premier contrôle. » Ce choix technique permet aussi d'améliorer la rentabilité d'une ration complète qui n'intègre pas moins de 1 958 kg de concentré/VL/an (soit 217 g/litre), pour un niveau d'étable de 9 716 kg de lait. « En l'absence de maïs ensilage, la ration complète assure un apport énergétique qui favorise la reprise d'état corporel en deuxième partie de lactation. Même si elle génère une surconsommation de concentré, le coût alimentaire reste néanmoins maîtrisé dans un système herbager peu consommateur de correcteur azoté. C'est aussi un moyen de réduire le temps de travail, sans recourir à l'achat d'un Dac. Un investissement qu'il faut pouvoir amortir sur plusieurs années. »
« L'ENSILAGE D'HERBE À 40 % DE MS CONSERVÉ EN BOUDIN PLASTIQUE »
L'obtention de ce niveau de production élevé, comparé à la moyenne départementale holstein de 7 400 litres/VL, passe par la qualité de l'herbe récoltée. Car pour des questions de main-d'oeuvre et de défaut de portance des terres argileuses groupées autour des bâtiments, l'accès au pâturage se limite à 3 ha, soit 3 à 4 kg d'herbe pendant un mois et demi au printemps. Ensuite, la sécheresse estivale limite le prolongement de la période de pâturage, comme elle pénalise la fauche des regains. Cependant, les sols calcaires permettent d'implanter des mélanges luzerne-dactyle plus résistants sous ces latitudes. « Les ray-grass et trèfles sont intéressants en première coupe et pour faire pâturer les brebis à l'automne, mais je ne peux pas miser dessus pour les regains, rappelle David. Les luzernes sont là pour assurer deux coupes au minimum, exceptionnellement quatre : la première coupe est ensilée et les suivantes sont fanées. Si la première coupe s'avère insuffisante, j'ensile une part d'orge au stade laiteux-pâteux du grain. Le rapport grain/paille de l'orge d'hiver permet ainsi d'obtenir un fourrage riche en énergie (NDLR : jusqu'à 0,9 UF selon la chambre d'agriculture) et en fibres efficaces, très complémentaire de l'herbe. »
Dans ce système, la qualité de la première coupe est donc primordiale. Elle repose sur une fauche précoce, dès le 10 mai pour les ray-grass hybride-trèfle violet, dix à quinze jours plus tard pour les luzernes et dactyles, et un taux de matière sèche de 40 à 45 %. Pour bien conserver ce fourrage riche en matière sèche, sans risquer le développement de spores butyriques, il est stocké en boudin plastique dans le cadre d'un chantier réalisé en Cuma (voir encadré).
« SANS L'ICHN, PAS DE VIABILITÉ POUR LE LAIT STANDARD »
« Le système fourrager autonome qui a été mis en place est bien calé autour de 450 000 litres de lait livrés, souligne Philippe Verroul. Il permet d'optimiser les places disponibles en bâtiment et montre qu'il est possible d'atteindre un certain niveau de production en zone de montagne, sans déraper sur les coûts. L'exploitation reste en sous-réalisation structurelle par rapport à son droit à produire acquis, mais n'a pas intérêt à augmenter sa capacité, car la clé de la rentabilité reste la maîtrise des investissements. À l'échelle du département, le prix du lait standard ne couvre pas les coûts de production et sans ICHN, la viabilité de la production laitière serait remise en cause. Avec les prix pratiqués depuis six mois, la majorité des éleveurs sont d'ailleurs sur le fil. » La retraite de Gilbert dans un an pose aussi la question de la disponibilité en main-d'oeuvre. À l'issue de son parcours à l'installation, Barbara a pris en charge l'atelier fromager et la fabrication du bleuet, une tome à pâte persillée de 320 g. « L'objectif est de transformer 35 000 à 45 000 litres pour aller chercher de la valeur ajoutée sur nos produits », explique-t-elle. Pour écouler les fromages au-delà des magasins locaux, elle a pris part à la création d'un drive fermier avec quatorze producteurs de Lozère et de l'Hérault(2) : « Les clients pourront passer commande sur notre site et un camion assurera les ramassages des produits en ferme. Ils seront livrés le vendredi à Juvignac, aux portes de Montpellier, en présence de producteurs. »
JÉRÔME PEZON
(1) La Lozère produit 86 % du lait de Languedoc-Roussillon, soit 436 producteurs avec une référence moyenne de 197 000 litres (FranceAgriMer 2013-2014). (2) www.drive-fermier.fr/montpellier-juvignac.fr
L'exploitation bénéficie de 100 ha d'un seul tenant autour des bâtiments. Mais le manque de portance de ces sols pentus et argileux, les sécheresses estivales et une main-d'oeuvre réduite ont conduit à limiter le pâturage à quelques kilos d'herbe au printemps. © JÉROME CHABANNE
L'alimentation à l'auge est distribuée toute l'année sans fermeture des silos et la stabulation est équipée de logettes paillées avec matelas. © JÉROME CHABANNE
David multiplie les tours de prairie dès la mi-avril pour contrôler la pousse de l'herbe. Localement, la fauche a lieu vers le 10 mai pour les mélanges ray-grass hybride-trèfle violet et vers le 25 mai pour les luzernes. © JÉROME CHABANNE
Pendant son parcours à l'installation, Barbara a suivi une formation fromagère au CFPPA d'Aurillac dans le Cantal. © JÉROME CHABANNE
Les génisses sont sevrées sur l'exploitation, puis leur élevage est délégué à l'extérieur pour libérer de la place dans la stabulation. Les veaux mâles sont vendus à l'âge de 1 mois. © JÉROME CHABANNE
Cinq heures et demie par jour en salle de traite : quarante-cinq minutes matin et soir pour les brebis, suivies de deux heures pour les vaches. David s'acquitte seul de cette astreinte. © JÉROME CHABANNE
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